Conciliation homologuée et abus de majorité

À propos de Cass. com., 26 nov. 2025, n° 24-15.730, F-B (affaire Nerim)

Référence

Cour de cassation, chambre commerciale, 26 novembre 2025, n° 24-15.730, F-B

Résumé de l’arrêt

À l’issue d’une opération de LBO, un dirigeant fondateur, devenu associé minoritaire, a été successivement révoqué de ses fonctions, licencié, puis fortement dilué à l’occasion d’une restructuration financière intervenue dans le cadre d’un protocole de conciliation homologué.

Cette restructuration reposait notamment sur la comptabilisation d’une provision significative ayant conduit à des capitaux propres négatifs, justifiant une réduction de capital à zéro suivie de plusieurs augmentations de capital, dont certaines réservées, entraînant une éviction capitalistique quasi totale du minoritaire.

Contestant la sincérité de l’information financière, la réalité des pertes et la loyauté des opérations, l’associé minoritaire a engagé une action indemnitaire fondée sur l’abus de majorité.

La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir retenu que, nonobstant l’homologation judiciaire du protocole de conciliation, les opérations litigieuses, décidées sur la base d’une présentation erronée de la situation financière et poursuivant le seul dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment des minoritaires, n’étaient pas conformes à l’intérêt social et caractérisaient un abus de majorité.

1. Les enjeux d’abus de majorité dans l’affaire Nerim

L’affaire illustre de manière très classique un schéma de conflit post-LBO opposant un associé majoritaire financier à un dirigeant fondateur devenu minoritaire.

L’abus de majorité est caractérisé lorsque deux conditions cumulatives sont réunies :
– une décision prise contrairement à l’intérêt social,
– et poursuivant l’unique dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment des minoritaires.

En l’espèce, les opérations successives (provisionnement massif, protocole de conciliation, réduction de capital à zéro suivie d’augmentations de capital partiellement réservées) ont eu pour effet mécanique une éviction capitalistique quasi totale de l’associé minoritaire, sans sortie indemnisée.

L’enjeu contentieux ne porte donc pas uniquement sur la légalité formelle des opérations, mais sur :
– la sincérité de l’information financière ayant fondé la décision de provisionnement,
– la nécessité réelle du « coup d’accordéon » au regard de la situation économique de la société,
– et l’existence ou non d’une instrumentalisation du processus de conciliation à des fins de réallocation du pouvoir capitalistique.

La Cour rappelle ainsi que la conciliation, même homologuée, ne fait pas obstacle au contrôle du juge du fond sur le respect de l’intérêt social et sur la loyauté des décisions majoritaires.

2. Le rôle central de la provision dans la mécanique d’éviction

2.1. Principe juridique et comptable de la provision

Une provision correspond à la constatation comptable d’une perte ou d’une charge probable, résultant d’un événement en cours à la date de clôture, dont le montant ou l’échéance ne sont pas précisément déterminés.

S’agissant d’une provision pour dépréciation de titres, celle-ci suppose que :
– la valeur actuelle des titres (valeur d’utilité ou valeur de marché) soit inférieure à leur valeur comptable,
– et que cette perte de valeur présente un caractère durable.

La provision a pour effet de réduire mécaniquement les capitaux propres, sans entraîner de sortie de trésorerie immédiate.

2.2. La provision comme levier juridique dans un conflit entre associés

Dans un contexte de LBO, la comptabilisation d’une provision significative sur le seul actif du holding peut produire des effets déterminants :
– capitaux propres devenant négatifs,
– déclenchement d’une situation justifiant une réduction de capital à zéro,
– légitimation d’un « coup d’accordéon » conduisant à une dilution ciblée.

L’enjeu n’est donc pas seulement comptable, mais stratégique.

C’est précisément sur ce terrain que se cristallise le contentieux :
– la provision était-elle objectivement justifiée ?
– reposait-elle sur des hypothèses sincères et contradictoirement partagées ?
– ou constituait-elle un outil de construction artificielle de pertes afin de justifier une restructuration défavorable au minoritaire ?

3. La réduction de capital à zéro : outil technique et point de bascule contentieux

La réduction de capital à zéro est une opération juridiquement licite lorsqu’elle vise à apurer des pertes ayant absorbé l’intégralité des capitaux propres. Elle consiste à annuler l’ensemble des actions existantes par compensation avec les pertes, sans remboursement des associés.

Elle est fréquemment suivie d’une augmentation de capital, formant ce que la pratique désigne comme un « coup d’accordéon », destiné à recapitaliser la société.

Toutefois, cette opération devient juridiquement sensible lorsqu’elle s’inscrit dans un schéma global conduisant à :
– une exclusion de fait de certains associés,
– une augmentation de capital réservée ou réalisée dans des conditions inaccessibles aux anciens associés,
– ou une réallocation du capital et du pouvoir sans justification économique proportionnée.

Dans cette hypothèse, la réduction de capital à zéro n’est plus analysée isolément, mais comme un maillon d’une chaîne décisionnelle susceptible de caractériser un abus de majorité.

4. Enseignement pratique

Dans les conflits latents entre associés, le travail de l’avocat ne consiste pas uniquement à contester la décision finale (réduction ou augmentation de capital), mais à remonter l’ensemble de la chaîne décisionnelle :
– modalités de gouvernance post-LBO,
– missions confiées aux conseils financiers,
– choix comptables structurants (provisions, dépréciations, retraitements),
– information délivrée aux associés et aux organes sociaux.

C’est souvent dans ces opérations techniques, en apparence neutres, que se logent les leviers d’une action fondée sur l’abus de majorité.

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