INTERPOSITION : RAPPELS JURISPRUDENTIELS

L’interposition est devenue au fil du temps une chose commune en matière de sociétés. 

Qu’elles soient privées, qu’elles aient pour objet une profession libérale réglementée, les sociétés recourent à différents montages dans le cadre de leurs opérations de restructuration, d’OBO, de LBO ou de ManCo, par exemple. Ces opérations vont en règle générale aboutir à l’interposition de sociétés.

Cette interposition génère des conventions dites de gestion, dénommées sous le vocable anglais « management fees » ou encore convention de prestations de services.

Ces conventions de « management fees » sont diverses et variées. 

Ces conventions vont permettre d’externaliser certains services administratifs (comptable, juridique, informatique, RH, financier, marketing). Les prestations ainsi rendues seront facturées par la société mère au profit d’une ou plusieurs sociétés filiales.

Notons que la sémantique est ici trompeuse car une forte tendance conduit à utiliser le terme de « management fees » pour toutes les prestations, alors que celui-ci devrait être réservé aux prestations qui, en principe, concernent les pouvoirs et missions dévolues par la loi et les statuts aux dirigeants de société.

Mais, si ces conventions ont de causes multifactorielles, juridiques, managériales, fiscales et/ou sociales, parfois cumulées, la difficulté apparaît, lorsque ce sont les fonctions de direction qui font l’objet de ces conventions, et surtout lorsque ces conventions de prestations de service sont conclues entre deux sociétés ayant un dirigeant commun. 

Nous assistons ainsi, depuis quelques années, à un frein en matière de gouvernance.

En effet, lorsque l’on analyse la jurisprudence, les conventions conclues entre des sociétés ayant le même dirigeant encourent le réel risque d’être contestées et jugées nulles, sur le plan civil et pénal, ou d’être requalifiées en un acte anormal de gestion sur le plan fiscal, par exemple.

Sur le plan civil et commercial, la Chambre commerciale de la Cour de cassation (C.com. 14 septembre 2010, N°09-16.084, Samo Gestion) a annulé une convention de prestations de services conclue entre deux sociétés (SA) ayant un dirigeant commun sur le fondement de l’absence de cause,

En l’espèce, la convention définit les prestations comme « l’action commerciale, la gestion industrielle, la gestion des ressources humaines, la gestion administrative et financière, stratégie générale, prestation de direction ». 

Selon la Cour de cassation, il résulte que ces prestations font double emploi avec l’exercice de représentant légal de ses fonctions de directeur général et que cela revient à rémunérer la société Samo Gestion pour des prestations qui étaient accomplies par le dirigeant au titre de ses fonctions de directeur général. 

La convention est donc dépourvue de cause. 

Il est important de relever que la Cour de cassation retient également que la rémunération doit être fixée par le conseil d’administration et non par une convention conclue avec un tiers et ce, peu importe que la convention ait été autorisée par le conseil d’administration. 

La Cour de cassation confirme sa jurisprudence par un arrêt du 23 octobre 2012. 

L’arrêt relève dans le même esprit que l’arrêt précédent, que la convention de prestations était une « délégation unipersonnelle (…) d’une partie des fonctions de décision, de stratégie et de représentation incombant normalement (au représentant légal) et qu’elle fait double emploi, à titre onéreux pour cette société, avec lesdites fonctions sociales (…) » et que « les obligations stipulées à charge de la société Mécasonic étaient dépourvues de contrepartie réelle ». 

Sur le plan contractuel, les conventions de prestations entrant dans l’objet du mandat social en présence d’un doublon de la personne physique sont donc remises en cause.

Pour la Chambre commerciale en effet, la théorie de l’annulation pour défaut de cause doit être retenue car il y avait dans les faits de l’espèce, non seulement un doublon en matière des fonctions sociales, mais aussi une irrégularité dans le premier cas, quant à la fixation de la rémunération, qui devait être approuvée par le conseil d’administration. 

En aurait-t-il été autrement si la personne morale était elle-même dirigeante avec une rémunération dûment fixée par les organes compétents ? On exclura ici le cas des sociétés dont le gérant est nécessairement une personne physique. 

En matière administrative, le risque est différent mais n’en demeure pas moins problématique. 

En effet, l’arrêt Galmor (CCA Nancy, 9 octobre 2003, N°98-2182, SA Gamlor) a rejeté la déduction des sommes versées par une filiale à sa holding en présence d’un même dirigeant, sur le fondement de l’acte anormal de gestion, aux motifs que : 

  • La holding « n’a fourni aucune prestation de services distincte des activités que (le dirigeant) a déployées dans le cadre normal de ses fonctions de président directeur général » de la filiale ;
  • « Les versements effectués, ne correspondant à aucune prestation de services fournies » ne pouvaient « regardées comme relevant d’une gestion normale de la société ». 
  • Le dirigeant personne physique ne percevait pas de rémunération par sa filiale alors qu’il exerçait une profession libérale au sein de celle-ci. 

Dans la lettre de la cour administrative d’appel n°15 de février 2018, et s’agissant de la section relative aux « impôts sur les revenus et bénéfices », les auteurs nous précisent que le tribunal administratif de Nancy a explicitement jugé dans la lignée de l’arrêt Gamlor qu’« à la différence de décisions techniques ou d’application qui ne relèvent pas du mandat social de dirigeant, les tâches inhérentes aux fonctions normales de président d’une société par actions simplifiées sont celles qui relèvent de décisions stratégiques de l’entreprise. » 

A cette occasion, le tribunal administratif a précisé que « pour déterminer si les missions confiées relèvent normalement du mandat social de dirigeant, le juge de l’impôt doit notamment prendre en compte l’objet social de la société, de la rédaction des statuts, son volume d’activité et sa dimension nationale et internationale ».  

En 2023, le Conseil d’Etat précise sa jurisprudence dans la mesure où il considère que « la décision de ne pas verser une rémunération directe à son gérant ne faisait pas par elle-même obstacle à ce que la société Collectivision ait pu décider, en procédant à la passation de la convention en cause avec la société Sonely, de verser une rémunération indirecte à son gérant en contrepartie de l’exercice de ses fonctions et à ce que, par suite, le règlement des honoraires en litige ait pu, en l’absence de tout appauvrissement à des fins étrangères à l’intérêt de la société, relever d’une gestion d’une gestion commerciale normale » (Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 04/10/2023, 46688). 

Dans cet arrêt, Il s’agissait donc de savoir si la convention litigieuse entrait dans la qualification de l’acte anormal de gestion, à savoir « un acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt » (CE, Plénière, 21 décembre 2018, Société Croë Suisse, n°402006, p. 467, RJF 2019 n°246, concl. A. Bretonneau). 

Comme le souligne le rapporteur public, si l’acte anormal de gestion et la nullité du contrat peuvent se rejoindre, le juge de l’impôt n’est pas le juge du contrat. 

Pour le rapporteur, « la décision de verser à son gérant ou dirigeant une rémunération indirecte plutôt que directe n’emporte pas appauvrissement d’une société. Au contraire, elle peut même, lorsque le montage permet d’éviter le versement de cotisations sociales, réduire la charge liée à la rémunération des fonctions de direction. La pratique est peut-être pendable voire susceptible, si tant est qu’elle n’ait d’autre but, de caractériser une fraude aux cotisations sociales ou de soulever des interrogations sur la TVA déduite, mais elle n’appauvrit pas l’entreprise. Par ailleurs, ne diminuant pas la charge fiscale du point de vue de l’impôt sur les sociétés, le service n’a logiquement pas tenté ici de combattre cette pratique sur le terrain de l’article L. 64 du LPF ». 

Ce qui semble également important pour le rapporteur est qu’il n’y ait pas appauvrissement de la société et que la rémunération des fonctions de direction soit l’objet d’une validation émanant des organes compétents, afin d’éviter notamment que celle-ci soit constitutive d’une distribution irrégulière au titre de l’article 111 du C.G.I. 

Le Conseil d’Etat retient l’analyse du rapporteur public : le seul constat du doublon des fonctions ne prouve pas à lui seul l’existence d’un acte anormal de gestion dès lors que la preuve de l’appauvrissement délibéré contraire à l’intérêt de la société n’est pas rapportée. La signature de la convention en cause est analysée comme une décision de rémunérer indirectement le gérant en contrepartie de l’exercice de ses fonctions. 

Se dégagent ainsi la position de la juridiction civile d’un côté, celle administrative de l’autre.

Les difficultés et risques pour les prestations dites de pur management, à savoir celles entrant dans l’objet du mandat social, demeurent donc. 

En effet, peuvent être retenus : 

  • la nullité du contrat de gestion au titre de la violation des règles de compétences de l’organe compétent, notamment en matière de conseil d’administration pour les sociétés anonymes ; 
  • l’acte anormal de gestion quand la convention entraîne un appauvrissement de la société ou lorsque celle-ci est contraire à son intérêt (ex : la rémunération manifestement excessive) ;
  • l’abus de bien social et action en comblement du passif en cas de défaillance de la société utilisatrice ;
  • la perte de la qualité dit d’« holding animatrice » et donc de l’exonération « bien professionnel » pour le dirigeant.

En conclusion, l’évolution en matière de distinction des fonctions sociales et techniques que connaissent les professions libérales aujourd’hui doit conduire à la plus grande vigilance en matière de conventions de « management fees », et notamment lorsque celles-ci sont utilisées pour refacturer leurs prestations dans le cadre d’interpositions. 

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