Le retrait capitalistique dans les Sociétés d’Exercice Libéral à Responsabilité Limitée (SELARL) est un sujet d’une importance capitale, en particulier depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2018, qui a affirmé une jurisprudence stricte quant à cette pratique. Cet arrêt, qui prohibe le retrait capitalistique dans les SELARL, a clarifié un point qui restait flou dans la réglementation des sociétés d’exercice libéral et a de fortes implications pour les professionnels libéraux, notamment les avocats, qui exercent dans ce type de structure.
1. Le cadre juridique des SELARL
La SELARL, forme très prisée par les professions libérales, notamment les avocats, permet à ces derniers d’exercer leur profession dans une structure offrant une certaine flexibilité en matière de gestion tout en bénéficiant d’une responsabilité limitée au montant de leur apport. Toutefois, ce type de société est soumis à des règles spécifiques qui visent à concilier les exigences de la profession libérale (indépendance, déontologie, exercice personnel de la profession) avec celles du droit des sociétés.
L’une des caractéristiques clés des SELARL est que les associés doivent être, dans leur majorité, des professionnels en exercice au sein de la société. Cette disposition est essentielle pour garantir que la société conserve sa nature d’exercice libéral et n’évolue pas vers une société purement capitalistique, où les investisseurs extérieurs pourraient prendre le contrôle.
2. Le retrait capitalistique : Définition et enjeux
Le retrait capitalistique consiste pour un associé d’une SELARL à céder ses parts ou à se retirer de la société tout en conservant une part importante du capital. Cette pratique, qui vise à dissocier l’exercice de la profession et la détention de parts sociales, soulève plusieurs enjeux :
- Indépendance professionnelle : Si un associé n’exerce plus au sein de la société mais conserve une part significative du capital, cela pourrait compromettre l’indépendance des professionnels en exercice.
- Déontologie : Dans les professions comme celle d’avocat, le fait que des non-professionnels ou des professionnels qui n’exercent plus influencent la gestion de la société pourrait poser des problèmes éthiques.
- Gestion des risques : Le retrait capitalistique pourrait également engendrer des risques financiers ou de gestion pour la société, notamment si les parts sont massivement détenues par des associés qui n’ont plus d’engagement dans l’activité quotidienne.
3. L’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2018
Dans son arrêt du 12 décembre 2018, la Cour de cassation a tranché de manière décisive sur cette question. L’affaire portait sur un associé d’une SELARL qui souhaitait se retirer de l’activité tout en conservant ses parts sociales. La Cour a jugé que cette pratique était contraire à la nature même des SELARL et au principe de détention majoritaire du capital par des professionnels en exercice.
a) Le rappel des principes de la SELARL
La Cour a rappelé que la détention du capital d’une SELARL est soumise à des exigences strictes. Les articles L. 223-1 et suivants du Code de commerce, qui régissent les SARL, sont en effet complétés par des dispositions spécifiques pour les SEL, imposant que la majorité des parts sociales et des droits de vote soit détenue par des professionnels en exercice au sein de la société.
b) Les motivations de l’arrêt
L’arrêt repose sur deux fondements principaux :
- Préservation de l’indépendance et de la déontologie : La Cour a estimé que permettre à des associés non-exerçants de conserver une part importante du capital risquerait de compromettre l’indépendance des professionnels en activité et de porter atteinte aux règles déontologiques qui s’imposent à eux.
- Risque de détournement de la structure : En interdisant le retrait capitalistique, la Cour a probablement voulu éviter que l’activité professionnelle soit décorrélée de la détention du capital, qui pouvait permettre l’ouverture à des investisseurs extérieurs.
c) Les conséquences pratiques de cet arrêt
Cet arrêt impose aux associés d’une SELARL qui cessent leur activité professionnelle au sein de la société de céder leurs parts, de sorte que le capital reste entre les mains des professionnels en exercice. La Cour de cassation décide : « A défaut de dispositions spéciales de la loi l’autorisant, un associé d’une société d’exercice libéral à responsabilité d’avocats ne peut se retirer unilatéralement de la société, ni obtenir qu’une décision de justice autorise son retrait, peu important le contenu des statuts (…) ».
Dès lors, si une clause des statuts d’une SELARL prévoit l’unicité d’exercice, le professionnel libéral est tout simplement empêché dans sa liberté de réinstallation…
4. Répercussions pour les avocats exerçant en SELARL
Pour les avocats, cette décision de la Cour de cassation a plusieurs implications pratiques importantes :
- Cession obligatoire des parts : Un avocat qui décide de quitter la SELARL ou de ne plus y exercer doit céder ses parts à des associés en exercice ou à un tiers, sous réserve de l’agrément des autres associés, comme le prévoient souvent les statuts.
- Limitation des stratégies patrimoniales : Certains avocats, en particulier ceux approchant de la retraite, pouvaient voir dans le retrait capitalistique une stratégie de gestion de leur patrimoine, en conservant une partie du capital de leur SELARL tout en réduisant leur activité. L’arrêt du 12 décembre 2018 a fermé cette possibilité et a imposé un désengagement total de la société.
5. Conclusion
L’arrêt du 12 décembre 2018, prohibant le retrait capitalistique dans les SELARL, a constitué une clarification importante du cadre juridique applicable aux professions libérales exerçant sous cette forme sociétaire.
Pour les avocats, cette décision a imposé une vigilance accrue dans la gestion de leur société. Les stratégies patrimoniales ont donc du s’adapter à cette jurisprudence, et il a été crucial pour les avocats associés de bien anticiper leur sortie de la SELARL en conformité avec les principes rappelés par la Cour de cassation.
Cette décision a cependant conduit à alerter les professionnels du droit et d’autres professions libérales sur l’importance de ces règles tout en sachant que cette position a cependant complexifié certaines situations, notamment en cas de conflit entre associés…